Un millier d’artistes venus de plus de 50 pays, des dizaines de milliers de spectateurs… le Marché des Arts du Spectacle d’Abidjan, MASA, est en cours jusqu’au 17 mars 2018. Il s’agit d’un festival mais aussi d’un marché où les créateurs de spectacles présentent leurs œuvres aux programmateurs. Cette 10ème édition est axée sur les modèles économiques pour les arts de la scène. Pour l’occasion, le directeur général du MASA, Yacouba Konaté nous a accordé une interview.
Quelle est la contribution du MASA pour le marché du spectacle en Afrique ?
Le MASA est une grande scène qui permet aux artistes de venir et de profiter de la ville d’Abidjan comme vitrine, pour montrer dans des conditions professionnelles leurs spectacles à des diffuseurs, des acheteurs, des promoteurs qui viennent de l’Europe, des États-Unis et du monde entier. Donc c’est ça la première fonction du MASA. L’autre aspect, c’est qu’il y a une dimension de professionnalisation. Il s’agit d’aider les groupes artistiques à vivre de leur art. Les gens ne le savent pas mais dans les années 80 et jusqu’en 1993, les artistes travaillaient mais ils signaient rarement des contrats en bonne et due forme. Le MASA a aidé à la diffusion et à la généralisation de la culture du contrat. Le MASA a contribué aussi à la formation des techniciens du spectacle. Au début des années 93 le MASA se tenait et il n’y avait pas un seul technicien en Afrique, il n’y avait pas un seul ingénieur de son qui pouvait conduire toute la partie technique des spectacles qui se faisaient ici. Le matériel lui-même, il fallait le faire venir de France etc. Donc progressivement, au fil des éditions, il y a des techniciens africains qui se sont professionnalisés et qui aujourd’hui sont nos chefs de plateau. Et ils viennent de tous les pays. Mais il faut savoir que c’est un métier comme tous les métiers. C’est un métier qui peut faire vivre son homme. Évidemment les fonctions sont différentes. Ce que nous cherchons à faire aussi, c’est communiquer l’image d’une Afrique qui crée pendant que trop souvent des images d’horreur et de violence entachent l’amour que nous avons pour nos pays et notre continent.
« Quels modèles économiques pour les arts de la scène? », c’est le thème de cette 10eme édition du MASA. Est-ce que pour que les artistes vivent de leur art, il faudrait retourner dans le système qu’on appliquait en Guinée juste après les indépendances où les artistes étaient en même temps des fonctionnaires ? Est-ce une solution ?
Je ne crois pas que cela soit une solution même si je pense que toute personne a besoin d’une régularité au niveau du traitement, d’un métier stable. Mais je pense que le modèle économique à créer dépend du budget que chaque manifestation peut monter et du plan de financement que chaque activité peut mettre en place. Le troisième aspect, c’est le plan de financement qui est indispensable non seulement pour l’évènement mais aussi pour tous les acteurs de la chaine. Dans le cas de la Cote d’Ivoire, le budget est essentiellement financé par la partie ivoirienne, l’État ivoirien d’une part et le district autonome d’autre part. Le troisième partenaire, c’est l’Organisation Internationale de la Francophonie qui est l’institution à partir de laquelle l’idée du MASA a germé et s’est développée avant de se localiser à Abidjan. Et aujourd’hui, ces trois contributions sont essentielles mais elles ne suffisent pas pour monter une manifestation de l’envergure du MASA. Donc, nous devons nous donner les moyens de discuter avec les partenaires du secteur privé pour voir comment ils peuvent communiquer sur notre évènement et comment, ils peuvent entrer dans le plan de financement. Le travail de promotion est indispensable. Et nous devons le faire, une fois que les artistes ont montré avec une certaine évidence qu’ils font partie de la génération émergente. C’est un peu à ce travail que nous nous consacrons. Nous considérons que l’État ne peut pas tout faire. Mais dans un domaine comme la culture, chaque fois que L’État n’intervient pas directement ou indirectement, le secteur a du mal à se hisser à la hauteur des défis qui se présentent à lui.
Dans une interview, le metteur en scène béninois Tola Koukui affirme que « la musique se vend mieux à l’extérieur que l’art vivant » Partagez-vous cette analyse ? Si oui comment y remédier ?
C’est évident qu’il y a plus de spectacles de musique qui se vendent même mieux à l’intérieur de nos pays et a l’extérieur. Et la conséquence c’est que l’attractivité pour les disciplines telles que le théâtre ou la danse est en situation difficile. Mais c’est des secteurs qui restent essentiels dans la mesure où en termes de créativité, en termes pluralité, de diversité et de travail de composition, la danse et le théâtre sont des domaines dont la valeur éducative est très forte. Et il s’agit de domaines dont les recherches sont plus stimulantes, plus régulières à la différence de la musique qui est souvent traversée par des tendances, des modes qui durent parfois trois semaines, trois mois… alors que l’essentiel aujourd’hui est de travailler sur des lignes de force et des lames de fond et aller chercher ces lames de fond dans notre histoire, dans notre mémoire pour voir comment on peut leur donner des interprétations plus contemporaines et plus actuelles.
On a remarqué que les occidentaux achètent beaucoup plus l’art africain que les africains eux-mêmes. En 25 ans de MASA, est-ce qu’il y a un changement qui s’opère à ce niveau ?
Oui bien-sûr, il y a un changement de tendance. Moi je regarde seulement les chiffres des professionnels qui sont au MASA cette année, la liste brute que nous sommes en train de ficher va jusqu’à 305 professionnels. Sur ces 305, nous avons seulement 90 qui viennent des pays occidentaux. C’est les États-Unis, le Japon… mais le gros lot des directeurs de festivals qui viennent travaillent en Afrique. Donc aujourd’hui, il y a une évidence très forte qui indique que les produits culturels y compris les arts un peu difficiles comme la danse et le théâtre ont vocation et ont des chances de circuler beaucoup plus à l’intérieur du pays. Maintenant, il y a beaucoup qui pensent que le seul endroit où ils peuvent vendre, c’est l’Europe, que c’est là-bas qu’on achète. Mais si vous faites le point avec les différents groupes qu’il y a, il y a beaucoup de gens qui ont fait des tournées gagnantes et qui sont rentrées. Mais parmi ceux qui ont tourné, il y a beaucoup qui vous disent que la solution aujourd’hui c’est de rentrer dans des accords avec le milieu et de devenir de vrais entrepreneurs culturels non seulement dans leur pays mais aussi au plan international.
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